L’usufruitier a le droit de contester une délibération collective pouvant affecter son droit de jouissance
L’usufruitier de parts sociales de SCI demande l’annulation d’une décision d’assemblée générale augmentant le capital de la société, invoquant l’abus de majorité. Il présente la même requête pour toutes les délibérations postérieures, puisqu'elles ont été adoptées avec la répartition des droits de vote issue de l'augmentation de capital contestée.
Toutefois, les statuts de la SCI prévoyaient que les usufruitiers ne pouvaient contester que les décisions collectives portant sur l'affectation des résultats. La Cour d’appel déclare donc l’action irrecevable.
Mais la Cour de cassation censure cet arrêt. Elle juge que les statuts ne peuvent pas priver l'usufruitier de parts sociales du droit de contester une délibération collective susceptible d'avoir une incidence directe sur son droit de jouissance.
Cette décision étend donc les droits reconnus à l’usufruitier par la Cour, qui avait déjà établi qu’il peut provoquer une délibération sur une question susceptible d'avoir une incidence directe sur son droit de jouissance des parts.
Cass. 3ᵉ civ., 11-7-2024, n° 23-10.013
Affaire Illumina/Grail : les concentrations sous les seuils de CA nationaux et européens ne peuvent pas être contrôlées par la Commission
Le contexte
Depuis une communication de 2021, la Commission européenne avait développé une interprétation extensive de l’article 22 du règlement 139/2004 du 20 janvier 2004. Ce mécanisme avait initialement été créé comme un moyen de contrôle suppléant pour les pays membres ne disposant pas de législation nationale de vérification des concentrations.
Aujourd’hui, il est utilisé pour éviter les doubles procédures dans des opérations concernant plusieurs pays. Mais la Commission l’employait comme fondement pour justifier sa compétence regardant des opérations ne dépassant pas les seuils de CA, sur renvoi d’un État membre.
Les faits
La société américaine Grail avait acquis la société Illumina sans notifier le projet de concentration à la Commission ou à une autorité nationale. En effet, ni les seuils européens ni les seuils nationaux n’étaient atteints, puisque Grail ne réalisait aucun chiffre d’affaires dans l’UE.
Saisie d’une plainte, la Commission a invité les États membres à lui soumettre leurs demandes éventuelles pour qu’elle examine tout de même ce projet, sur la base de l’article 22. Plusieurs pays ont ainsi initié la procédure. Le Tribunal de l’UE ayant confirmé la compétence de la Commission, Grail et Illumina ont formé un pourvoi contre cet arrêt.
La décision
La CJUE censure l’arrêt du Tribunal, et ainsi, réfute la doctrine de la Commission. L’article 22 ne permet pas aux autorités de concurrence nationales de demander à la Commission d’examiner une concentration qui n'est pas de dimension européenne et qui n’atteint pas non plus les seuils nationaux applicables.
La Cour souligne notamment que les seuils fixés pour définir si une opération doit ou non être notifiée constituent un gage important de prévisibilité et de sécurité juridique pour les entreprises concernées.
Les conséquences
Dans un communiqué de presse, l’Autorité de la concurrence a indiqué prendre note de l’arrêt de la CJUE. Néanmoins, elle rappelle que des opérations portant atteinte à la concurrence échappent à tout contrôle, car elles se situent en deçà des seuils. Elle vise en particulier les acquisitions dans les domaines de l’innovation numérique, de la santé ou des biotechs.
De ce fait, l’Autorité confirme qu’elle déterminera les moyens existants ou nécessaires pour s’assurer qu’aucune concentration, même non soumise à une notification préalable, ne porte atteinte à la concurrence sur le territoire français.
CJUE, gr. ch., 03-09-24, Illumina, Inc. Et Grail LLC c/ Commission, aff. jointes C-611/22 P et C-625/22 P
À retenir :
1/ L’article 22 du règlement sur les concentrations ne peut pas être utilisé par la Commission pour contrôler des opérations n’atteignant ni les seuils européens ni les seuils nationaux.
2/ L’Autorité de la concurrence entend rechercher un autre moyen d’appréhender les concentrations portant atteinte à la concurrence sur le territoire français, mais passant sous les seuils de CA. Une modification de la législation est donc envisageable.
Trois nouvelles applications de la théorie du préjudice nécessaire
Depuis plusieurs années, la Cour de cassation applique régulièrement le principe de réparation automatique au bénéfice du salarié. Il n’a alors pas besoin de prouver son préjudice : il est indemnisable du fait de la seule violation par l’employeur d’une obligation légale.
Les juges ont notamment reconnu l’existence d’un préjudice nécessaire en cas de dépassement de la durée maximale de travail ou encore de non-respect du droit au repos quotidien conventionnel (voir à ce sujet notre newsletter du 20 février 2024).
La Cour a de nouveau recouru à cette théorie, dans deux arrêts du 4 septembre 2024 :
Le seul constat du manquement de l’employeur qui a fait travailler un salarié pendant son arrêt de travail ouvre droit à réparation.
Le seul constat du non-respect du temps de pause quotidien ouvre droit à réparation.
Le seul constat que l’employeur a manqué à son obligation de suspendre toute prestation de travail durant le congé de maternité ouvre droit à réparation.
Cass. soc., 04-09-24, n° 23-15.944 et n° 22-16.129
Le Registre des Bénéficiaires Effectifs n’est plus accessible au grand public
Depuis le 31 juillet 2024, de nouvelles modalités d’accès sont applicables au Registre des Bénéficiaires Effectifs, jusque-là ouvert à tous. Un système de filtrage a été mis en place, conformément à la 6ᵉ directive européenne anti-blanchiment du 31 mai 2024.
L’objectif est de se conformer à une décision de la CJUE, qui a jugé que l’ouverture du Registre au grand public portait atteinte au droit au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel.
Dorénavant, seules les personnes justifiant d’un intérêt légitime pourront consulter ces informations :
Les autorités compétentes et les professionnels assujettis aux obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme conservent un accès complet aux données.
Les journalistes, chercheurs et acteurs de la société civile engagés pour la transparence financière peuvent créer un compte utilisateur auprès de l’INPI pour continuer d’accéder aux données complètes.
Les entreprises pourront, après avoir justifié de leur intérêt légitime, accéder aux informations des bénéficiaires effectifs de leurs éventuels cocontractants, pour exécuter leurs devoirs de diligence et de connaissance client.
Un formulaire de demande d'accès est disponible. Il doit être envoyé à l'INPI avec les pièces justificatives démontrant votre intérêt légitime.
L’indemnité allouée en contrepartie du repos non pris est exclue de l’assiette de calcul des indemnités de licenciement
Un salarié licencié présente plusieurs demandes relatives à la rupture de son contrat de travail. L’employeur est condamné à payer une somme à titre de rappel d'indemnité de licenciement, mais il en conteste le montant.
En effet, la Cour d'appel a précisé réintégrer au salaire de référence l'indemnité qu'elle a allouée au salarié au titre des repos compensateurs non pris. Selon l’employeur, cette indemnité n'entre pas dans l'assiette de l'indemnité légale de licenciement.
La Cour de cassation accueille cet argument. Ainsi, la créance du salarié au titre des contreparties obligatoires en repos non prises a la nature de dommages-intérêts et n'entre pas dans la rémunération prise en compte pour déterminer les indemnités de licenciement.
Cass. soc., 04-09-24, n° 23-10.520
Google peut-il prévoir une clause autorisant la suspension des services de référencement pour motif légal ?
La société Up to Motion, venant aux droits de la société Fathi Enterprise, a conclu avec Google un contrat pour le référencement payant de son site, via le service « Google Adwords ». L’article 13 des conditions générales précisait que chaque partie peut résilier le contrat à tout moment, et que « Google peut suspendre la participation du client aux programmes à tout moment, par exemple en cas de problème de paiement, de manquements suspectés ou avérés aux politiques ou aux présentes Conditions ou pour raisons légales ».
Après réception d’un courriel du secrétariat d’État chargé du numérique, Google suspend le compte de la société Fathi. Celle-ci conteste cette suspension et demande l’annulation de l’article 13. Elle avance que cette clause offrait au fournisseur la faculté de décider unilatéralement et sans préavis la fin du contrat, créant un déséquilibre significatif entre les parties.
De son côté, Google estime que cet article répondait à une nécessité propre à la qualité d'hébergeur de Google Ireland. Celui-ci était tenu, conformément à l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, d'agir rapidement pour retirer des données ou en rendre l'accès impossible dès qu’il a connaissance du caractère illicite des activités ou des informations en cause.
La Cour de cassation rappelle la portée de cette obligation légale. De ce fait, un hébergeur ne crée pas de déséquilibre significatif en prévoyant une clause contractuelle lui permettant de suspendre promptement l'usage de ses services de référencement pour des raisons légales, puis en l'appliquant lorsqu'il est informé du caractère trompeur d'un site auquel il donne accès.
Cass. com., 04-09-24, n° 22-12.321
➥ Le coût des accidents du travail et maladies professionnelles des intérimaires sera réparti à parts égales entre l’entreprise de travail temporaire et l’entreprise utilisatrice. Cette nouvelle règle est prévue par un décret du 5 juillet 2024, et elle entrera en vigueur progressivement à partir de 2026.
➥ L’expérimentation des tribunaux des activités économiques débutera le 1ᵉʳ janvier 2025, pour quatre ans. Douze tribunaux de commerce seront renommés TAE : Marseille, Le Mans, Limoges, Lyon, Nancy, Avignon, Auxerre, Paris, Saint-Brieuc, Le Havre, Nanterre et Versailles. Ces juridictions bénéficieront d’une compétence étendue, et pourront connaître de toutes les procédures amiables et collectives, à l’exception de celles concernant les professions libérales réglementées en droit (avocats, notaires, commissaires de justice, greffiers des tribunaux de commerce, administrateurs et mandataires judiciaires). Les modalités ont été précisées par un décret du 3 juillet 2024 et par deux arrêtés du garde des Sceaux, l’un du 5 juillet 2024, et l’autre du 25 juillet 2024.
✔ Le ministère de la Santé a publié un « questions-réponses » concernant le virus Mpox. Il informe notamment les employeurs que les personnes infectées doivent télétravailler durant 3 semaines à partir de la date de début des signes (ou ne pas travailler si le télétravail est impossible).
✔ Votre groupe d’entreprises applique-t-il correctement vos BCR (binding corporate rules ou règles d’entreprise contraignantes) ? La CNIL propose des questionnaires pour vous aider à évaluer la conformité de vos pratiques. En effet, si vous avez institué une politique intra-groupe, vous avez la charge de mettre en place de manière effective les obligations en découlant.
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